On l’appelle airelle rouge ou airelle vigne-d’Ida, son nom officiel. En anglais, on la connaît comme la mountain berry ou la red berry. En Scandinavie, où elle est très populaire, on parle de lingonberry. Sur la Côte-Nord, la « graine rouge », petit fruit acidulé, n’a aucunement besoin de présentation tant elle est ancrée dans la culture populaire.
PAR VIRGINIE LANDRY
Au début d’octobre, c’est en famille qu’on « va aux graines » pour cueillir l’airelle, une tradition héritée des Innus de la région. Joyce Dominique, journaliste à la radio innue CKAU de Uashat mak Mani-utenam, explique que « la cueillette de la graine rouge, c’est un moment de rassemblement intergénérationnel et de célébration ». Tout le monde se dirige en forêt pour trouver « sa » talle, celle où on retourne année après année, puis chacun cueille les fruits à la main. Lorsqu’ils sont d’un rouge vif uniforme, les fruits sont bien mûrs. Ils se détachent alors facilement du plant.
Pour récolter une airelle plus sucrée et goûteuse, il est conseillé d’attendre les premiers gels. Le froid lui confère un meilleur goût, moins amer, plus savoureux, qui fait ressortir toutes les subtilités du fruit.
Les Innus cueillent aussi l’airelle l’hiver. On recouvre les arbrisseaux de couvertures avant la première neige. En hiver, on retire les couvertures et on peut récolter les fruits qui sont encore très beaux et très bons. C’est une façon de les consommer à longueur d’année.
Mario Noël, propriétaire de la distillerie Puyjalon, à Havre-Saint-Pierre, souligne que plusieurs Nord-Côtiers et Nord-Côtières ont une talle à même leur cour : « Mon beau-père en a sur son terrain et fournit bien des voisins en graines rouges. L’airelle fait partie de la culture locale et de nos histoires familiales. »
Les fruits récoltés à la main sont ensuite transformés en confitures par certaines personnes, ajoutés aux gâteaux et aux muffins par d’autres ou mangés entiers, un peu réchauffés et tartinés sur du pain frais. Mario Noël, lui, les aime dans son confit d’oignons.
Joyce Dominique ajoute que certains Innus en incorporent dans leur bannique, le pain traditionnel autochtone. Autrefois, « les aînés faisaient chauffer des airelles fraîchement cueillies avec de la graisse d’ours, puis laissaient le tout refroidir. C’était considéré comme un dessert de luxe », explique-t-elle.
Parce que l’airelle rouge aurait des propriétés antivirales, les Innus font sécher ses feuilles et ses fruits pour les consommer en tisane. Elle serait excellente pour soigner les maux de gorge, prévenir les infections buccales et urinaires, et favoriser la santé des reins.
Une production encore expérimentale
L’airelle rouge, fruit nordique d’un arbrisseau rustique, est de la même famille que la canneberge, avec laquelle elle partage quelques similarités sur le plan du goût, de la couleur et des qualités nutritionnelles.
Riche en antioxydants et prisée par les communautés locales pour son bon petit goût acidulé, la graine rouge n’est en ce moment pas produite en grande quantité sur la Côte-Nord, mais plutôt de façon artisanale et, depuis quelques années, expérimentale.
En effet, le Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale (CEDFOB), à Baie-Comeau, travaille depuis un peu plus de trois ans sur un projet avec des petits producteurs d’airelles de la région.
Ève-Catherine Desjardins, chercheuse au CEDFOB, explique que cet intérêt envers l’airelle rouge vise à « diversifier la production fruitière nord-côtière et à se démarquer à l’échelle provinciale ». Le CEDFOB réalise des tests en milieux naturels ainsi qu’en laboratoire pour voir s’il est possible de produire l’airelle rouge à plus grande échelle. « On est encore au stade de recherche, mais ça avance bien », indique-t-elle.
Manger et boire l’airelle
Quelques commerces de la Côte-Nord mettent l’airelle rouge à l’honneur dans leurs produits transformés de manière artisanale. C’est le cas des Délices de Michèle, petite entreprise de Colombier qui utilise l’airelle rouge dans ses confitures et ses chocolats.
À la Distillerie Puyjalon, on propose une façon tout à fait raffinée de consommer la graine rouge : dans une liqueur de gin à l’airelle. Mario Noël produit cet alcool d’exception en faisant macérer le fruit dans le gin avant d’y ajouter du sucre.
Résultat ? « Une liqueur savoureuse d’une belle couleur rouge vif. » Le Rubis Nordique est offert à la distillerie et à la SAQ.
La distillerie compte aussi se lancer cette année dans la production de bières microbrassées et récupérera pour ce faire une partie des fruits macérés dans le gin.
Si les recherches du CEDFOB peuvent mener à une plus grande production d’airelles, gageons que nous retrouverons le petit fruit rouge dans une panoplie d’autres produits dans les années à venir.
Magazine le Goût de la Côte-Nord
Juin 2022 – Numéro 2
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