En vacances en famille, avec des amis, lors de séjours chez les Innus, pour ses projets d’écriture ou pour la radio de Radio-Canada, Hélène Raymond a arpenté la Côte-Nord. Elle continue de s’y rendre et apprécie ce privilège de pouvoir rencontrer ces hommes et ces femmes qui façonnent un territoire unique.
PAR HÉLÈNE RAYMOND
Sur la Côte-Nord, il est des paysages qui me prennent aux tripes. J’ai des images et des parfums accrochés au coeur : l’arrivée dans les villages de la Basse-Côte; un voyage de kayak en Minganie; un potager qui défie la gourmandise des cerfs d’Anticosti; des festins de poisson en camping; l’odeur du sapinage dans une nuit constellée d’incalculables étoiles.
J’aime ce pays, sa démesure et sa route en ruban qui s’étire sur 850 kilomètres, de Tadoussac à Kegaska. J’aime frôler l’estuaire, traverser ses villages tranquilles, deviner l’activité des usines de transformation de poissons et de fruits de mer, entrer dans les épiceries, arrêter sur les quais, marcher sur les grèves et les plages. Le Nitassinan, ou terre des Innus, a porté les déplacements patients de ce peuple, depuis le bord de la mer jusqu’au royaume des caribous. Puis, petit à petit, la Côte-Nord a vu sa population allochtone grandir au fil des arrivées. On y venait pour la pêche (commerciale, puis sportive), le négoce des ressources et les chantiers hydroélectriques.
Ces présences ont marqué l’histoire culinaire locale. Pour survivre, on devait stocker les ressources alimentaires sauvages. On jardinait aussi. J’admire ces gestes qui subsistent d’une époque où, du marchand général aux ménagères, on faisait des provisions pour les mois d’hiver.
Aujourd’hui, alors que les épiceries se regarnissent chaque semaine de denrées aux origines plus ou moins lointaines, par engagement citoyen, on « mange local » en s’inspirant d’hier. On se pourvoit de gibier, de poissons d’eau douce et salée, de champignons, de coquillages. Des maraîchers et maraîchères refusent de se laisser intimider par la fugacité de l’été. On sait depuis longtemps que gaspiller est un luxe. Les feuilles de navet qu’on ajoutait aux plats de viande bouillie en sont la preuve; elles sont devenues une spécialité locale.
Quelle autre région peut se targuer d’une aussi belle diversité fruitière ? Prenez tous ces arbrisseaux et plantes sauvages. On parle de « berries » ou de « graines » pour désigner les fabuleuses airelles vigne-d’Ida, les camarines d’un noir bleuté, les baies ensoleillées des chicoutés. Et il y a les framboises des friches, les fraises des champs, les bleuets des forêts… La Côte-Nord est un terroir vitaminé.
Si les produits de la mer ont longtemps disparu dans des camions pour régaler d’intangibles acheteurs, les choses changent. Petit à petit. L’été dernier, j’ai vu des étiquettes pointant des captures nord-côtières. Des poissonneries sont revampées. On peut remplir sa glacière sur le chemin du retour.
La Côte-Nord se déguste. Grâce à la mer, à la terre et à la forêt, ses saveurs s’encapsulent dans des produits fins qui vont des confitures aux boissons, jusqu’au sel du Saint-Laurent ! Quatre microbrasseries entre Tadoussac et Natashquan; deux distilleries entre Baie-Comeau et Havre-Saint-Pierre; une cueilleuse qui emprisonne l’été dans ses pots; un cueilleur qui récolte plantes, épices et champignons en nature; des miellées goûteuses; des tisanes boréales; des fruits; des légumes biologiques. Ajoutez des chefs dynamiques qui nourrissent leurs pairs autant que la visite ! Toutes ces découvertes enrichissent chaque fois mes souvenirs.
Je vous sais là-bas, en voyage. Je vous souhaite de faire provision de rencontres, de saveurs, et d’immensité.
Magazine le Goût de la Côte-Nord
Juin 2022 – Numéro 2
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