La position éloignée de la Côte-Nord a longtemps constitué un défi de taille pour son approvisionnement en aliments frais. Sa population, autochtone ou d’origine européenne, a largement dépendu des ressources accessibles localement, notamment des plantes sauvages cueillies en pleine liberté. Aujourd’hui, malgré des épiceries aux tablettes bien garnies, de nombreux Nord-Côtiers (re)prennent le chemin de la forêt pour en cueillir les trésors.
PAR LAURA SHINE
« Je suis monté à Sept-Îles hier et j’ai failli m’arrêter au bord du chemin pour saluer une dame qui récoltait des airelles rouges du printemps : des airelles qui ont passé l’hiver sous la neige, qui sont délicieuses, qui sont très sucrées aux mois d’avril et mai. »
Guy Côté, historien de Havre-Saint-Pierre et auteur de plusieurs livres sur la culture et l’histoire de la Côte-Nord, raconte la cueillette quasi miraculeuse de ces fruits, précieuses bombes de saveurs vitaminées après de longs mois de grands froids. « Il y a des gens, surtout des personnes âgées, qui ont encore l’habitude d’aller chercher ces fruits-là, souligne-t-il. Ce sont les premiers fruits après l’hiver, on se dépêche d’aller les récolter avant qu’ils sèchent et avant que les oiseaux les trouvent. Les Innus font ça aussi. C’est peut-être quelque chose qu’on a appris d’eux. »
La cueillette, sur la Côte-Nord, relève d’une longue tradition. Les très nombreux peuples qui se sont installés sur le territoire au cours des millénaires – depuis les autochtones de l’Archaïque maritime il y a près de 8500 ans – ont toujours dépendu des ressources indigènes. Les petits fruits occupaient une place importante dans le garde-manger local, notamment pour les peuples autochtones.
Les cueillettes étaient l’occasion de grands rassemblements familiaux où s’échangeaient de précieux savoirs.
Historiquement, leur récolte permettait de faire provision de vitamines dans un régime qui, autrement, était largement composé de viandes et de poissons. Les petits fruits – tout comme les feuilles, les fleurs ou les racines de leurs plantes – étaient aussi employés à des fins médicinales.
On ne récoltait donc pas que les fruits : par exemple, les feuilles de thé du Labrador, de son nom officiel lédon du Groenland, étaient infusées pour faire des tisanes et étaient parfois fumées. Elles pouvaient également servir de cicatrisant, et les sages-femmes en faisaient des décoctions pour faciliter l’accouchement. Un garde-manger et une pharmacie à portée de main… pour ceux et celles qui savaient en faire usage.
Au-delà de leur importance nutritionnelle, les cueillettes étaient l’occasion de grands rassemblements familiaux où s’échangeaient de précieux savoirs. Cette chaîne de transmission a été mise à mal par la sédentarisation forcée des peuples innus. Envoyés dans des pensionnats, les enfants autochtones ont été coupés de leur mode de vie traditionnel et des apprentissages dispensés par les aînés. Mais malgré des décennies d’abus, l’innu-aitun, le mode de vie et la culture innus, se perpétue aujourd’hui. Cette renaissance passe notamment par l’organisation d’activités communautaires où la cueillette est à l’honneur, rassemblant des gens de tous âges autour de cette pratique ancestrale.
Pour les colons qui se sont installés plus durablement sur la Côte-Nord à partir du 19e siècle, la cueillette était aussi un mode d’approvisionnement important. En témoigne le florilège de recettes qui font la part belle aux petits fruits : pouding à la vapeur aux graines rouges, carrés aux chicoutés, gelée de camarines noires, tarte aux canneberges, confiture de bleuets… De quoi régaler toutes les dents sucrées, d’hier à aujourd’hui.
Quelques trésors à dénicher
- Petits fruits : chicouté (ou plaquebière), canneberge, camarine noire (ou baie noire), ronce arctique, pimbina, airelle vigne-d’Ida (ou graine rouge), bleuet, framboise
- Plantes maritimes (attention, des règles particulières s’appliquent pour protéger les berges de l’érosion) : salicorne, rosier sauvage, gesse maritime (ou pois de mer), persil de mer, plusieurs variétés d’algues
- Champignons : chaga, champignon crabe (dermatose des russules), chanterelle en tube, variétés de bolets, morille et lactaire à odeur d’érable
- Autres : poivre des dunes (chaton d’aulne crispé), bourgeon de sapin et d’épinette noire, thé du Labrador, myrique baumier
« Même si c’est très exigeant, très physique, même s’il fait une chaleur épouvantable, même s’il y a de la mouche, on est reconnaissants de ce qui nous entoure, de ce qui est vivant. Ça nous inspire dans tout ce qu’on fait. »
– Annick Latreille
Pour l’amour de la nature
L’approvisionnement personnel ou familial constitue encore l’essentiel des activités de cueillette. Mais ces dernières années, une poignée de petites entreprises a repris le flambeau des générations passées pour faire de la cueillette non seulement un mode d’approvisionnement familial, mais aussi un gagne-pain. C’est le cas de l’entreprise de Sept-Îles, Trésors des Bois, qui propose notamment des boutons de marguerite et divers champignons. Les Saveurs boréales, installée à Forestville, cueille entre autres le fameux chaga, ainsi que des graines de myrique baumier.
Annick Latreille, pour sa part, s’est installée à Natashquan il y a une quinzaine d’années. Sa petite entreprise, De baies et de sève, récolte les richesses sauvages du territoire pour les transformer en délices : des tisanes au thé du Labrador, au sapin et au thé des bois; un sirop de sapin baumier à utiliser dans les cocktails; un pesto qui mêle persil et épinards de mer… « Toutes nos cueillettes se font à la main, explique-t-elle. On fait des journées de cinq ou six heures, autour d’une plante ou de plusieurs, en fonction du timing. Puis on traite tout ce qui a été cueilli. On sèche, on met sous vide, on congèle… La majorité de la transformation se fait le reste de l’année, hors de la saison de cueillette. »
Annick Latreille cueille aussi pour sa consommation personnelle : des champignons, des petits fruits, des algues pour engraisser son jardin, des plantes médicinales, des pousses d’épinette noire… « Même si c’est très exigeant, très physique, même s’il fait une chaleur épouvantable, même s’il y a de la mouche, on est reconnaissants de ce qui nous entoure, de ce qui est vivant. Ça nous inspire dans tout ce qu’on fait. »
Une nature riche qui nourrit le corps, mais aussi l’âme.
Magazine le Goût de la Côte-Nord
Juin 2022 – Numéro 2
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