Plantée en pleine taïga, à 565 kilomètres au nord de Baie-Comeau, la petite communauté minière de Fermont ne rime pas exactement avec jardinage. Pourtant, depuis plus de 30 ans, Francine Marcoux prouve que l’agriculture et l’esprit communautaire peuvent fleurir dans les régions subarctiques.
PAR BENOIT VALOIS-NADEAU
« Les plantes aiment Fermont ! » plaide Francine Marcoux, qui a emménagé dans la ville du fer au milieu des années 1980, après avoir terminé une formation en horticulture légumière et fruitière à l’Institut de technologie agroalimentaire, à Saint-Hyacinthe.
Au bout du fil, l’énergique femme de 62 ans décrit sa région comme une véritable oasis en pleine forêt boréale.
« Ici, en général, c’est plus reposant pour les végétaux, dit-elle de sa voix douce. Il y a moins d’insectes, les températures sont plus fraîches, la pousse est moins accélérée. Ça fait des plantes qui sont résilientes et fortes. » Et plus goûteuses également.
« Les laitues sont croquantes et sucrées parce que la température est plus froide, surtout la nuit, ajoute-t-elle. C’est le cas pour beaucoup d’espèces. Le plant se gorge de sucre pour se protéger du gel; ça donne des fruits et des légumes savoureux. On a beaucoup de bonheur à les produire. Sans compter qu’à cette latitude, l’été, on peut jardiner jusqu’à 22 h parce qu’il fait encore clair ! »
« Jardiner, c’est une récompense. On prend du temps pour réaliser quelque chose qui nous fait du bien, autant moralement que physiquement. »
– Francine Marcoux
Déménagée de Montréal en 1985 pour gérer les serres qu’exploitait alors le club social de Fermont, Francine est aujourd’hui propriétaire de Pousse partout !, l’entreprise agricole la plus nordique du territoire nord-côtier.
Dans sa serre froide et ses cageots, Francine fait croître arbres fruitiers, arbustes, vivaces, annuelles, etc. Et l’été, elle se fait un plaisir d’exposer les principes de l’agriculture nordique aux touristes qui visitent la région, tout en leur faisant goûter ses fraises fermontoises, les meilleures au monde à son avis.
Horticulture nordique
Bien sûr, jardiner au 52e parallèle amène son lot de défis. La météo, d’abord, qu’on pourrait qualifier de capricieuse. La saison de croissance est évidemment plus courte qu’au sud et ne s’amorce qu’à la mi-mai ou au début juin, lorsque le couvert de neige a complètement disparu. Et même l’été venu, le froid n’est jamais bien loin.
« La météo, ici, c’est une vraie boîte à surprises ! Rien n’est impossible à Fermont ! » s’exclame Francine, qui se souvient en riant de bordées de neige en plein de mois de juillet. « On ne sait pas si demain ce sera le printemps, l’été ou l’hiver. Ça change très rapidement et c’est très dur à prévoir. »
Les cultures demandent donc une attention constante. Toujours à l’affût des baisses subites de température, Francine se lève parfois la nuit ou tôt le matin pour abrier ses plants de toiles protectrices. Les vents, contre lesquels une partie de Fermont est protégée grâce au célèbre mur-écran, donnent également peu de répit aux aspirants jardiniers.
Mais c’est un défi inattendu qui a le plus compliqué la vie de l’horticultrice lors de son arrivée dans la municipalité nordique : l’absence de terres cultivables.
« Il n’y a pas de terres parce qu’il n’y a jamais eu de culture ici, résume-t-elle. Normalement l’humus se forme à partir des feuilles et des végétaux qui, en se dégradant, nourrissent le sol et forment une belle terre. Mais ici, c’est surtout de la roche, du sable et du gravier. »
Pour pallier ce problème, elle a dû « fabriquer » sa propre terre, avec des résidus végétaux et quelques poches de compost amenées via le train reliant Sept-Îles à Schefferville.
Un legs à faire germer
Malgré ces embûches, Francine ne quitterait Fermont pour rien au monde. Fait rare dans cette communauté éloignée qui accueille beaucoup de travailleurs temporaires, elle compte bien y prendre sa retraite et même y reposer lorsque son heure sera venue.
« Comme je le dis souvent, le Nord, c’est magnétique. Quand tu y vas une fois, tu ne peux pas t’empêcher d’y retourner », dit-elle, un immense sourire dans la voix.
À l’aube de la retraite, celle qui a remporté en 2019 l’Ordre national du mérite agricole, catégorie bronze, songe à ralentir ses activités. Mais avant de tourner la page, elle compte bien léguer un ultime cadeau à cette communauté de 2500 habitants qu’elle embellit depuis 35 ans.
Avec d’autres femmes de Fermont, elle a amorcé en 2017 un projet de coopérative de solidarité, La Gourmande, qui a pour but d’établir une unité de production maraîchère avec serre et tunnel permanent dans un parc de la ville. Le tout serait produit selon les principes de l’agriculture soutenue par la communauté. La centaine de paniers produits sur une base hebdomadaire seront bien garnis : concombres, tomates, aubergines, laitues, pommes de terre, choux et fines herbes, entre autres.
Le projet est bien amorcé et il ne manque plus que quelques détails à fignoler pour commencer les plantations. Francine espère que le projet permettra de retisser le tissu social de Fermont, mis à mal par la pandémie, le travail par navettage (fly-in fly-out) et les horaires de travail tournants.
« On veut en faire un lieu de rassemblement, de discussion et d’éducation sur l’agriculture nordique. Si on veut réussir ce genre de projet dans une communauté comme Fermont, il faut que tout le monde mette la main à la pâte, insiste-t-elle. Mais c’est de bon augure; les gens ont hâte de se retrouver ! »
Quoi de mieux que le jardinage pour y parvenir ?
Magazine le Goût de la Côte-Nord
Juin 2022 – Numéro 2
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