Loin de tout, pour le meilleur surtout

Yves Laurencelle et Éric Deschênes font partie de la poignée d’éleveurs de bovins de boucherie de la Côte-Nord. Ils sont une dizaine au total, installés dans la MRC de La Haute-Côte-Nord (Sacré-Coeur, Grandes-Bergeronnes, Longue-Rive), pas très loin de la rivière Saguenay, frontière naturelle entre la région ressource et sa voisine, la Capitale-Nationale.

PAR ÉMÉLIE BERNIER

Présenté par Les Producteurs de bovins de la
Capitale-Nationale–Côte-Nord

Quand on demande à Yves Laurencelle, de Longue-Rive, s’il aime son métier, il semble hésiter un instant avant de se lancer, quasi solennel : « Ce n’est même pas une question ! Je n’aime pas ça, j’adore ça ! C’est une passion, un mode de vie ! Je suis venu au monde avec ça dans le sang. Je suis la cinquième génération sur la ferme… C’est viscéral ! »

Aussi sympathique que dithyrambique, il fait l’éloge de cet élevage marginal dans son coin de pays.

« Le boeuf est une belle production, poursuit-il. Si tu n’as pas un trop gros troupeau, c’est assez simple à gérer et ça te permet de garder un emploi à l’extérieur [de la ferme]. » Propriétaire d’un troupeau d’une soixantaine de têtes, Yves Laurencelle occupe un poste d’agent de développement économique et d’urbanisme à la municipalité de Longue-Rive. Il concilie les deux emplois avec agilité et trouve même le temps de s’investir à titre de président de la Fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles de la Capitale-Nationale–Côte-Nord. Contribuer à l’essor de sa région, on le devine, l’anime.

Éric Deschênes
Éric Deschênes

Un peu plus près de la rivière Saguenay, dans la petite municipalité de Sacré-Coeur, Éric Deschênes élève lui aussi des veaux d’embouche, soit de jeunes boeufs destinés à être vendus vivants à l’encan. Il est tombé dans l’élevage bovin quand il était petit. « J’avais huit ans quand mon père a lâché la production laitière pour se lancer dans le bovin de boucherie, indique l’homme de 55 ans. C’était dans le temps des quotas, il ne voulait pas s’endetter. Moi, je suis devenu propriétaire en 2002. » Son fils s’est joint à lui en 2021. « Il a des forces que je n’ai pas. J’aime plus m’occuper des animaux que travailler sur la machinerie, et mon fils Cédrik, c’est le contraire, lance-t-il en riant. On se complète pas mal. » Avec ses quelque 150 vaches, Éric est à temps plein sur la ferme. Pour que père et fils se consacrent exclusivement à la production, il faudra atteindre de 200 à 225 têtes, un projet à moyen terme.

À vol d’oiseau, la Côte-Nord apparaît recouverte de forêts, piquée de lacs et striée de rivières. N’est-ce pas là un défi quand vient le temps de faire pousser de quoi faire passer l’hiver au troupeau ? « On cultive toutes les terres qui peuvent l’être pour nourrir nos animaux », souligne Yves Laurencelle.

La préservation des terres arables – et du même coup des paysages agricoles – est un bénéfice non négligeable de l’élevage bovin. « On évite que ça tombe en friche, c’est certain ! dit Éric Deschênes. Notre production a non seulement un impact sur le paysage, mais aussi sur la vitalité de notre coin de pays. »

« La Côte-Nord est intéressante parce que c’est une région où on a la possibilité de faire du développement, estime Yves Laurencelle. Les terres sont moins chères qu’ailleurs. Oui, il y a des désavantages à l’éloignement. On a des gros frais pour le transport, les intrants, par exemple, mais en même temps, on est aussi loin des maladies ! Elles ne se rendent pas jusqu’ici et nos animaux sont sains ! »

« Notre production a un impact sur la vitalité de notre coin de pays. »
– Éric Deschênes

Tant Yves Laurencelle qu’Éric Deschênes aimeraient que leurs voisins, leurs amis et le public, de plus en plus nombreux à choisir la Côte-Nord pour ses vacances, puissent goûter la viande de leur élevage. Pour l’instant, une telle chose est impossible. « Le secret, ce serait un abattoir dans Charlevoix ou sur la Côte-de-Beaupré, parce qu’ici on n’aura jamais assez de volume pour justifier une construction comme ça », estime Éric Deschênes.

En vendant tous leurs bovins à l’encan, les producteurs dépendent du marché et de ses aléas. « On perd une plus-value importante en ne vendant pas nous-mêmes notre viande. Avec tout le développement du tourisme gourmand, ça pourrait être un marché vraiment intéressant », lance Yves Laurencelle.

Yves Laurencelle
Yves Laurencelle

Éric Deschênes partage son enthousiasme pour un éventuel marché de proximité et, pourquoi pas, un kiosque à la ferme. « C’est dur de se battre contre les gros marchés, mais si on vendait local, ça pourrait marcher ! croit-il. Un boeuf né et élevé ici, qui passe quatre ou cinq mois par année dans nos pâturages exceptionnels, se distinguerait ! »

Éric Deschênes n’attend pas après ce débouché pour être heureux. « Mon passe-temps, c’est de travailler ! Être avec mes animaux, j’adore ça, dit-il. Je suis encore content d’aller faire le train tous les matins ! Voir les petits jeunes arriver, les voir grossir, gambader… Dans un encan, les acheteurs ont des critères de sélection et on travaille pour que nos veaux y répondent. On fait de beaux veaux que les clients veulent ! »

Âgé de 50 ans, Yves Laurencelle, lui, n’a pas de relève, mais il n’a pas moins choisi d’investir dans sa passion. « Je me suis construit en neuf il y a deux ans. C’est ma préretraite ! Et j’ai bien l’intention de continuer jusqu’à 70, 80 ans… »

Magazine le Goût de la Côte-Nord

Juin 2022 – Numéro 2

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